« Le lobbying touche le fonctionnement de la démocratie ». Interview d'Anne-Marie Ducroux (Transparency International France) Mon, 02 Jun 2014 14:10:01 +0000
02 Jun 2014 04:10 pm | Anonymous
Contexte, journal en ligne sur les politiques publiques françaises et européennes, et Transparency International France, viennent de lancer l’outil Contexte Positions qui rassemble les contributions des différents groupes d’intérêts au niveau national et international. A cette occasion, Anne-Marie Ducroux, administratrice de Transparency international France, répond aux questions de Lobbycratie sur la thématique du lobbying.
Qu’est-ce qui justifie la mise en place du site unique qui référence les prises de position de plus de 400 organisations dans le débat public ? Pourquoi maintenant ? Quelle sera sa valeur ajoutée ? Est-ce que d’autres sections de Transparency International ont réalisé, ou vont réaliser ce même travail ?
Depuis 6 ans, Transparency International France agit pour que les enjeux liés au lobbying soient inscrits à l'agenda public. En contre point d’une capacité, reconnue par Transparency International France, pour tout acteur de faire valoir des informations et arguments dans un débat public, nous avons recommandé que les positions soumises aux décideurs, soient alors rendues publiques. Nous recommandons d'inscrire ces démarches dans certaines conditions de transparence donc mais aussi d'intégrité et de responsabilité sociétale.
Après avoir affirmé ce principe de positions publiées, nous contribuons désormais à l’émergence d’un outil proposant une solution concrète aux acteurs qui comprennent la nécessité de lever l'opacité entourant les relations entre groupes d'intérêts et décideurs publics. Une source de suspicion, qui nuit aujourd'hui à leur réputation.
Il s’agit aussi de permettre une meilleure traçabilité de ce qui entre dans la décision publique et donc, in fine, de ce qui relève de l'intérêt général.
Ce projet expérimental est mené en partenariat avec Contexte, journal en ligne sur les politiques publiques françaises et européennes. Nous aimerions qu’à terme les représentants d’intérêts déposent leurs positions ou soient répertoriées, que les citoyens, s’ils le souhaitent, puissent suivre ce que promeuvent les acteurs et que les décideurs nourrissent leur vision des différentes positions exprimées.
D’autres outils sont proposés, je pense à lobbyplag.eu, pour le parlement européen, regards citoyens pour le parlement français, le vôtre désormais, ne manque-t-il pas désormais un outil qui fédère ces outils et qui permettrait de mesurer le parcours des stratégies d’influence de la part des organisations à la fois dans le débat public (via les tribunes dans les journaux par exemple) jusque dans le débat politique dans les assemblées élues ?
A ce stade, il n’y a pas pléthore d’outils permettant aux citoyens de se faire une opinion et de clarifier ce qui se joue dans les actions dites d’influence, de plaidoyer ou de lobbying, alors même que ces actions font l'objet d'investissements croissants de la part des différents groupes d’intérêt. Souvent et majoritairement il manque encore la documentation de base sur cette question.
Vous publiez un sondage sur les attentes des Français en matière de lobbying, quelles sont les principales analyses que vous en tirez ?
Dès l'origine, T ransparency International France avait recommandé aux deux assemblées législatives, par exemple, de constituer elles-mêmes une base des positions fournies aux parlementaires et de la rendre accessible aux citoyens. Elle n’a pas vu le jour. Pourtant, 63 % des Français dans notre sondage viennent de confirmer qu'il s'agissait d'une piste à suivre. Les Français attendent des institutions qu’elles les informent sur ce qui s’y passe. Bizarrement, si on regarde le Parlement, cette question n’était ni documentée, ni encadrée, ni publique. Quant aux relations entre les groupes d’intérêts et les autres acteurs de la décision publique, elles sont encore moins transparentes.
Il faut relever également que près de 80% des Français considèrent que les positions des représentants d’intérêts doivent être publiées. Parmi ces 79%, 49% estiment que la publication devrait être systématique. Là aussi, une recommandation que nous portons depuis 6 ans est largement partagée par les citoyens.
Le lobbying est souvent mal-perçu, au moins dans un pays comme le nôtre, quelles en sont les raisons selon vous ? Est-ce justifié ?
Un certain nombre d’affaires ou de scandales éclatent régulièrement dans les médias et pas qu’en France. Des décideurs britanniques et européens, par exemple, ont été piégés par les médias, en train de monnayer leur capacité d’influence issue d’un mandat public. D'autres pratiques critiquables ont également été observées : propositions faites à certains assistants parlementaires, cadeaux, voyages et avantages proposés pour s’octroyer une attention plus naturellement bienveillante.
Enfin,il s'agit d'une question culturelle. La vision de l’élitisme français de la décision publique ne porte pas spontanément au sentiment de « redevabilité » à l’égard de tiers qui pourtant sont concernés et impliqués, en tant que contribuables et citoyens de la vie publique.
On parle beaucoup du lobbying à l’heure du numérique et de son influence. Le numérique n’est-il pas une chance pour le contre-lobbying ou les organisations, comme la vôtre, qui promeuvent un lobbying équilibré et une traçabilité des stratégies d’influence ?
Précisément, le lobbying n’est pas, comme les parlementaires l’ont trop souvent résumé, qu'un enjeu de badges et de régularisation des accès aux espaces de l'Assemblée ou du Sénat. Il touche un point du fonctionnement de la démocratie. Le lobbying concerne les relations avec l'ensemble des décideurs publics et, en 2014, ces relations sont aussi numériques que géographiques. De nouveaux outils transforment l’accès à l’information, la participation, les médias, le lobbying… Bien utilisés, ils peuvent offrir de nouvelles possibilités tant aux citoyens qu’à leurs représentants.
Propos recueillis, par messagerie, par Mikaël Cabon
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